« La peur est un sentiment d’inquiétude éprouvé en présence ou à la perception d’un danger. En éthologie animale, la peur est rattachée au groupe des «émotions de base» au même titre que la colère ou la joie, et est considérée comme un état de motivation induit par des stimuli spécifiques, donnant naissance à des réactions comportementales et physiologiques visant à éviter le danger ou à se préparer à l’affronter1

Voici une définition d’un point de vue éthologique, cependant le concept de peur est flou et multiple en fonction de l’approche que l’on en a. Selon Claude Beata, la peur est le pendant de l’attachement : « on a peur pour ceux que l’on aime », dans les « bras de ceux que l’on aime et qui nous aime, on a moins peur. » D’un point de vue psychologique, la peur joue un rôle adaptatif pour tout être vivant depuis la nuit des temps. C’est un mécanisme qui permet l’adaptation et la survie de chaque individu. Les humains, tout comme de nombreuses espèces de mammifères, sont génétiquement programmés pour éprouver de la peur, et ce depuis la plus tendre enfance, aux âges avancés. D’un point de vue cognitif, la peur nous pousse à reconsidérer notre environnement et à modifier notre perception. Au niveau comportemental, la peur nous pousse à fuir ou à extérioriser cette émotion.

Qu’est-ce que la peur ?

La peur est une émotion et une réaction face à un danger, réel ou imaginaire.
La peur est une émotion fondamentale lorsque le danger est réel ; c’est est une émotion secondaire quand le danger est potentiel. Elle va dépendre de l’état interne et des possibilités cognitives d’anticipation du danger.
La peur peut être graduée de la façon suivante :
Surprise à appréhension, inquiétude à alarme à crainte àpeur à panique, terreur, épouvante, détresse.

  • La surprise est une réaction de peur limitée avec une immobilisation. La surprise est toujours une émotion fondamentale.
  • La crainte est, en éthologie, la peur associée à une menace concrète. L’aspect concret de la menace va dépendre de l’interprétation de chaque individu.

Quelques exemples de crainte-peur chez le chaton : un bruit violent et soudain, une attaque par un prédateur, l’éloignement du gîte, la perte de la mère, la douleur, la noyade, l’exposition au vide…

Qu’est-ce que la phobie ?

La phobie est une ‘peur’ en présence d’un stimulus a priori, non dangereux, mais qui représente pour l’individu phobique un danger réel. Ses réactions seront alors disproportionnées. Deux types de phobies sont à distinguer, selon leur origine :
Les phobies post-traumatiques qui surviennent après une exposition à un stimulus intense en milieu fermé. La claustrophobie est une phobie post-traumatique par exemple.
Les phobies ontogéniques qui résultent des conditions de développement : le chaton s’est développé dans un environnement anxiogène. Ses peurs sont ancrées dans son état interne et ont évolué en phobie, même si son environnement a changé.

Peur et sécurité de l’Ego

Le danger est le contraire de la sécurité. La peur est là pour prévenir du danger et pour se garder en sécurité. La peur est le garde-fou qui permet la survie. Mère Nature a sélectionné les chiens, les chats, les chevaux… qui avaient peur ; ceux qui n’avaient pas assez peur n’ont pu survivre ; ceux qui avaient trop peur n’ont pas pu se reproduire, par peur du partenaire sexuel..
Il y a une relation étroite entre la peur et la distance considérée par le chat comme permettant de garantir sa sécurité. Il y a ainsi trois distances à considérer, qui déclenchent des réactions de peur progressivement plus intenses :

  • la distance de sécurité
  • la distance critique
  • le périmètre corporel.

schéma distance de sécurité.jpg
Toute perception d’une intrusion dans ces espaces déclenche une réaction de vigilance, une émotion de peur (d’intensité variable suivant la distance) et des stratégies comportementales d’autoprotection.

Les réactions comportementales

Les réactions comportementales classiques de peur dépendent de la nature du contexte.
Si le contexte n’est pas social, c’est à dire s’il n’est pas lié à un individu auquel l’animal a été socialisé, les comportements observés sont

  • La fuite (Flight) : le chat fuit la menace
  • L’immobilisation (Freeze) : le chat est pétrifié
  • L’agression d’autodéfense (Fight) : pas de possibilité de fuite, donc c’est l’attaque

Dans un contexte social : le chat est socialisé à celui qui lui fait peur, on observe alors :

  • La communication sociale (Flirt-social), qui apparaît dans les cas de peur modérée.

chat noir.jpgLes réactions préférées dépendent de la personnalité du chat. L’animal réactif-passif préférera la fuite si le stimulus menaçant est distant et l’agression d’autodéfense (par peur) si la fuite n’est pas possible ; l’animal proactif préférera l’agression de distancement et l’agression d’autodéfense.

Les attitudes de la peur

En plus ces réactions, on observe une physionomie particulière de la peur, exprimée par :

  • La posture corporelle basse
  • Les expressions faciales liées aux micro-mouvements de la face…
  • Pupilles dilatées (mydriase)
  • Queue ébouriffée, soit basse, soit érectile, sans mouvements
  • Les réactions neurovégétatives de transpiration des coussinets, de vidange éventuelle des glandes anales, d’accélération cardiaque (peu visible) et respiratoire, les éliminations urinaires involontaires…suki mydriase.jpg

La peur diminue la douleur

La peur entraîne une analgésie momentanée, c’est à dire une réduction voire suppression de la douleur en relation avec la libération de morphines endogènes : la bêta-endorphine et les enképhalines. Pourquoi la peur diminue la douleur : pour préparer à l’action en vue de préserver la survie ; si la douleur bloque l’action et facilite l’inaction, alors bloquer la douleur permet la réalisation de l’action.
Ainsi, de nombreux chats accidentés (par une voiture, mordus par un chien) continuent de courir quelques dizaines de mètres avant de s’écrouler (bloqués par la douleur) dans les fourrés.

 Les troubles de la peur

Les pathologies de la peur sont la phobie, le trouble panique, l’anxiété et le syndrome post-traumatique. Il n’y a pas de chiffre pour le chien ou le chat mais chez l’enfant 23 % des peurs infantiles cachent une maladie anxieuse.

  • La phobie est une peur secondaire qui ne s’améliore pas par habituation. Au contraire, malgré exposition répétée aux stimuli déclencheurs, la phobie se maintient et parfois s’aggrave.
  • Le trouble – ou la crise de – panique est une réaction de peur explosive, non contrôlée, entraînant une réaction d’immobilisation avec tremblements ou de fuite éperdue.
  • L’anxiété (généralisée) est une peur secondaire chronique (trouble de l’humeur) avec anticipation et appréhension et apparition plus fréquente et plus intense de surprises, de craintes, de peurs fondamentales et de peurs secondaires.
  • Le syndrome post-traumatique est un état de peur chronique secondaire à un traumatisme, accompagné de cauchemars.

On peut imaginer que la gestion de la peur dépend de la capacité cognitive de l’animal, non pas sur sa compétence à raisonner sa peur, mais surtout sur son niveau de reconnaissance. Cela donnera des répercussions sur l’évolution de la peur et de son traitement.

Les thérapies

Des thérapies comportementales existent pour aider le chat à réduire ses peurs et jusqu’à leurs extinctions. L’évolution de ces psychopathologies est principalement liée à l’attitude des propriétaires qui vont être souvent à l’origine d’aggravation. Sans thérapie, certaines phobies peuvent évoluer vers des phobies plus complexes, en ayant eux-mêmes des comportements d’anticipation et d’évitement face au stimulus phobiques.
Pour éradiquer les phobies, il faut changer les croyances. Pour arriver à changer la croyance que le stimulus, que l’animal croit dangereux, est en fait inoffensif et supportable, on applique la thérapie par le jeu.

Thérapie par le jeu

La thérapie par le jeu a pour but de changer l’état émotionnel de l’animal lors d’un trouble psychologique. Pour cela il faut que l’animal soit encore capable de jouer et/ou que le jeu proposé soit extrêmement motivant, soit par :

  • Le jeu activateur : Il s’agit de motiver l’animal en inhibition (dépression) à s’activer.
  • Le jeu disruptif : L’intention est de stopper une activité problématique et de rediriger l’énergie de l’activité dans un jeu.
  • Le jeu resocialisant : le but est de permettre le rapprochement social par l’intermédiaire du jeu.

Les thérapies comportementales

Les thérapies comportementales agissent indirectement ou directement sur les comportements afin de les modifier mais, aussi, afin de modifier les émotions, les cognitions, les perceptions, voire l’humeur du chat. Plusieurs techniques sont envisageables fonction du diagnostic et du stade identifié de la phobie.  Quelques exemples de thérapies applicable sur le chat :

Le trouble de cohabitation intraspécifique (chat) 2

Dans le trouble de cohabitation, deux chats (ou plus) sont sensibilisés l’un à l’autre ; l’un est passif et phobique fuyant, l’autre est actif et compulsif agressif proactif. Le chat passif fuit, le chat actif poursuit.
Il est possible d’exposer les deux chats l’un à l’autre, mais pour cela il faut empêcher la fuite et la poursuite. On peut le faire en mettant chaque chat – ou seulement le chat actif – seul dans un panier de transport ou une cage.

  • Les chats sont isolés d’un de l’autre et vivent dans des pièces séparées
  • Les cages sont tenues à distance et on rapproche progressivement les cages l’une de l’autre jusqu’à ce qu’elles se touchent. On ne rapproche les cages que lorsque les chats sont calmes, qu’ils ne soufflent ni ne crachent plus.
  • L’étape suivante est de sortir les chats des cages et le les mettre en présence l’un de l’autre en laisse (et harnais) à distance progressivement plus courte, tout en les déstressant par des jeux ou un repas.

L’animal agressif au contact

L’animal agressif au contact est peu tolérant à la caresse et au brossage. C’est donc un animal qui a peur ou est en colère lors du contact ou de l’anticipation du contact, de façon générale ou sur une partie particulière du corps.
La procédure nécessite de déterminer autant que possible le moment où l’animal va agresser : on peut voir une dilatation des pupilles, une agitation de la queue (avec des secousses chez le chat), un raidissement corporel, parfois des vocalises (grognements, miaulements et crachements chez le chat). Il est important d’arrêter tout contact au moindre signe de stress et de distraire l’animal par un jouet ou un aliment.

  • Approcher la main du visage du chat ; cette approche doit être franche et directe ; en effet une approche lente et hésitante entraînerait un risque d’agression.
  • Ensuite, une fois l’approche acceptée, on touche le chat au niveau du coin des lèvres et on le caresse vers les oreilles, une seule fois.
  • Quand le chat accepte l’approche et une caresse de la face, on augmente le nombre de caresses de la face et on étend la caresse du dessous de l’oreille vers le cou.
  • Une fois acceptée la caresse de la lèvre à l’oreille au cou, on prolonge la caresse sur les côtes. De là, on descend vers le dos et/ou vers les épaules et le bras.
  • On ne touche le ventre que quand le chat accepte le contact avec le reste du corps, y compris les pattes.

Conclusions

Les phobies sont faciles à diagnostiquer mais très difficiles à traiter. Cela peut être un véritable challenge pour le thérapeute. Leur thérapie nécessite souvent beaucoup d’investissements de la part des propriétaires qui ne sont souvent pas prêts à prendre en charge ce fardeau et préfèrent alors s’en tirer avec des traitements chimiques, superficiels et ponctuels.
La peur est un sentiment universel, dont l’être humain n’a pas le monopole. Cette émotion le renvoie même à sa condition animale et à la catégorisation de ce dont il faut avoir peur ou non. La peur amène donc à l’apprentissage de notre milieu, à nos limites, nos contraintes et à apprendre à vivre avec en s’adaptant

«J’ai appris que le courage n’est pas l’absence de peur, mais la capacité de la vaincre»3.


1- David MacFarland- Ethologue – Le Comportement Animal – 1990
2- Joël Dehasse – Les Phobies – 2004
3- Nelson Mandela – Homme d’état- Président de la République Sud Africaine de 1994 à 1999